Chronique d’une mort annoncée

Parfois lorsque l’on ouvre sa boite mail , on a la surprise de recevoir un texte.Le genre de chose ou les mots s’enchainent , ou les mots vous racontent une histoire.Voici ce qui vient de m’arriver.Alors je laisse place à cet auteur qui n’a pas souhaité etre connu mais dont la prose je l’avoue m’a touché.Auvergne Passion Mouche s’ouvre aujourd’hui à travers la chronique d’une mort annoncée

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« J’ai envie d’écrire.

Mais je n’ai pas d’idée… un roman ? Policier ? Une nouvelle peut être ? Des articles pour vanter la beauté de ma région, et sa fragilité ? Je ne sais pas ! Et ça m’emmerde !!!

J’habite en Auvergne. C’est une belle région. La plus belle peut-être. Mais je ne le dis pas, je le sais.

Ça me fait d’ailleurs doucement rigoler quand j’entends un ami me dire je viens d’ici, ou de là, et c’est le plus bel endroit du monde. Bah, peu importe, je me dis que l’on soit d’Auvergne ou d’ailleurs, c’est toujours mieux de vivre dans un coin qui nous plait.

Déjà que ce n’est pas sûr qu’il ait des rivières à truites à côté de chez lui, alors si en plus il déprime d’habiter dans un trou perdu qui a déjà conduit deux ou trois membres de sa famille au suicide, ça ne serait vraiment pas de chance.
Donc, j’habite en Auvergne… Bon. C’est chaud comme début pour un roman, surtout policier.
« Que s’est il passé ? La nuit dernière ? Ce drame qui a mis toute la vallée en émoi, à quelques jours de la fête du bleu ? Quelle mauvaise rencontre a bien pu faire l’René pour se retrouver écrasé sous son tracteur ? » Et bien, ce n’est pas gagné d’avance.

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Comment placer là-dedans un commissaire mystérieux, seul, alcoolique et avec des méthodes bien à lui ? En plus, Aimé Lacapelle est déjà dans la place, macarel.

Une nouvelle ? Pas compliqué, il faut une bonne idée…

Je disais donc que j’habite une belle région. C’est un bon début pour une nouvelle, mais on se demande quand même si on ne va pas se faire un petit peu chier.
Du coup, faudrait une putain de bonne idée et là, tout de suite ça se complique.

J’en ai eu une, l’autre jour, j’aurais peut être dû la noter. « Pov’cul » dirait un collègue. Un peintre, débutant, mais qui ira loin. Il est déjà allé jusqu’à Ussel pour exposer alors que ça ne fait que trois mois qu’il peint… je devrais mettre une de ses toiles en couverture du bouquin… si je retrouve cette putain de bonne idée.

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Un article ? Pourquoi pas…

J’ai même envoyé un mail à un éditeur célèbre en Auvergne, mais il ne m’a pas encore répondu… Ils ont du flairer l’entourloupe, je leur ai demandé quelles étaient les thématiques de leurs prochains numéros afin d’écrire quelque chose qui corresponde. Ils ont du se dire qu’il y en a qui ne doute de rien.

Mais que me reste-t-il ? Vous raconter ma vie ?

Mais que dire qu’y puisse vous intéresser? J’habite en Auvergne ? Ça ressemble a du déjà vu. Et moi je vais essayer de faire un truc unique. Vu que je risque de n’en faire qu’un seul, ça serait bien que ce soit nickel.

En fait, j’aimerais raconter une histoire, qui puisse vanter ce qui fait de l’Auvergne une région à part, à travers un texte un peu romancé mais bien documenté. Une brochure touristique, avec des meurtres et en trois tomes.
Un peu tous les styles me tentent en fin de compte. Il me faut une idée.

Mon collègue, le peintre, me convie régulièrement à le suivre dans ses pérégrinations artistiques. Et quand je peins, il me dit que je suis « dark » dans le choix de mes couleurs. Ça colle un peu avec le roman policier non ? Le « dark ». Je pourrais faire du Jo Nesbo ! Ça, ça envoie du bois, du sapin, quelques planches qui fleurent bon la charogne…

Du coup je me laisserais bien tenter par un truc un peu « dark ». Mais quoi… une chanson ? Du style, heu… le très très sombre Michel Delpech ?
« Ils me disent, ils me disent :
« Tu vis sans jamais voir un cheval, un hibou. »
Ils me disent :
« Tu viens plus, même pour pêcher un poisson.
Tu ne penses plus à nous.
On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue »
Bon, pas très « Dark » le Delpech quand même.

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Toutefois j’aime bien le côté boue… avec la boue c’est ça qui est bien… ça sent tout de suite le tueur en série, le génocide… avec la boue, on doit pouvoir faire un truc bien sombre, et que ce soit un roman, un article, une connerie ou même une peinture au fond d’une cave avec un pote.
Cela dit, va faire passer un message avec une toile au fond d’une cave… et même si tu la trimballes jusqu’en Corrèze pour la montrer. Surtout qu’il y a des chances qui pleuve…
Et là je me dis, bon sang, tu n’as qu’à parler de boue. A moins que ce ne soit debout ? … Peut-être devrais-je faire de la politique ?

« Parlons de boue, debout !!! »… ça sera mon slogan.

Mais ai-je envie d’écrire des discours, et de les répéter, inlassablement, à qui voudra bien les écouter et sans trop y croire ? Pas sûr que ça ne me gonfle pas rapidement.

Revenons en plutôt à la boue. Qui voudrait écrire un truc là-dessus ? D’ailleurs qui aime bien s’occuper de la boue en général? Il ne doit pas y avoir grand monde, mais ça me rappelle un truc.
Quelque chose qu’il m’arrive de dire à mes compagnons de pêche parfois, à mes enfants, souvent… pas toujours dans ces termes mais sur le fond, l’idée est là. La rivière est un peu le reflet de l’état de santé du territoire qu’elle draine. C’est beau. Mais quel rapport avec la boue vous allez me dire. Mais c’est qu’une rivière de boue, même Jo Nesbo n’y a pas pensé… la voila la putain de bonne idée. La rivière de boue dévastatrice, la vase tueuse, le crime parfait.

Bon j’ai mon sujet… j’ai l’arme du crime, il me manque un cadavre… un mort qui renifle le limon et un mobile.

Et si c’était un tueur en série, quelqu’un qui prend son temps, qui étudie bien sa victime avant, un patient, peut-être un carpiste… Je le vois le gars, qui jubile, la bave aux lèvres en regardant les débris se déposer lentement, se charger petit à petit de ces poisons mortels que seul les hommes sont capables de disperser à tout va, comme quand tu pisses en l’air et qu’il y a du vent… ces petites particules, presque invisible qui se regroupent en une pâte, fourbe, qui vient t’étouffer dans le moindre petit interstice. Ces vases nauséabondes qui tueront un jour, le jour ou l’homme lâchera la bête…

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Ça fout les jetons hein… ça démarre bien.

Mais il est là le gars, et pendant ce temps… son barrage se remplit… et le commissaire qui n’est toujours pas là. « Miladiou, Aimé qu’est ce que tu fous ??? »

Et au fait, si ce n’était pas un commissaire, ni même un agent du BIT. Si c’était juste un petit gars du coin qui allait résoudre l’énigme. Un petit gars du coin qui est déjà sur une piste…
Car il l’a bien vu, depuis des années qu’il traque la bête, elle a déjà bouffée quelques gamins dans l’village d’à côté… heu… non, ça je crois que c’est du réchauffé.
Il l’a remarqué donc, notre petit gars du coin, commissaire d’un jour, le petit meunier paisible qui retape son moulin. Soit disant qu’on peut moudre des grains plus gros quand la cascade est plus haute qu’il a dit… mais ne serait-ce pas là son addiction à la boue qui le submerge, sa volonté maladive d’en avoir toujours plus? Peut-être est-il frustré de toute cette vase qui s’accumule derrière les grands barrages pour rien ? Il veut sa boue à lui, il veut pouvoir lâcher la bête.

Je sens que ça va devenir compliqué mon histoire. Comment peut-on imaginer pareil plan pour un crime. Encore, un petit coup de couteau dans le dos, troisième sous-sol, quatrième couloir à gauche je peux comprendre, c’est plutôt discret. Je pense même que tu dois pouvoir bouffer le cadavre tranquille si tu choisis le bon parking. Un parking où les gens n’utilisent jamais leurs voitures pour sortir au grand jour, style le parking de l’ONEMA par exemple, mais là… ça se voit un barrage, il doit avoir une bonne couverture, et surement des complices… c’est ça le truc, il ne peut pas être tout seul… ils sont plusieurs, ils sont peut-être même nombreux. Toute une petite troupe qui aime se rouler dans la fange…

Comment on appelle ça déjà, ces petites bestioles qui se réjouissent à la simple vue d’un marigot et qui grouinent de plaisir quand elles s’y prélassent ? Ah oui, des porcs… mais un roman policier zoophile, ce n’est pas crédible, en tout cas chez des adultes, ça restera donc des hommes.

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Ça me fait penser qu’il me faut une victime… il me faut un truc bien puissant pour arriver à tirer une larme à mes lecteurs… qu’est ce que ma vague de merde pourrait bien tuer ? Des larves et des poissons ? Bah, tout le monde s’en fout et qui irait chialer pour un goujon ?

Un pêcheur ?

Quelqu’un qui aime tellement sa rivière qu’il passe sa vie les pieds dans l’eau et qui n’aurait pas entendu le flot dévastateur lui arriver sur la gueule, tout extasié qu’il était à contempler la beauté de cette terre qui l’a vu naitre ? Hum, bof, c’est pas mal mais ça reste quand même très banal…
Non, ce qu’il me faut c’est une victime que tout le monde aime, une mort bien trash de quelqu’un que l’on chérit au quotidien, un gosse… Ca c’est puissant…

Un gosse qui agonise, coincé dans son bourbier avec la mort qui lui lèche les joues, qui remplie sa bouche et le noie lentement, l’asphyxie doucement et l’empêche d’appeler à l’aide… ça c’est gore…
Tout le monde aime les enfants, même en Auvergne… car l’histoire va se passer en Auvergne, je ne vous l’avais pas dit ? L’Auvergne, une belle région, qui laisse ses enfants mourir, noyés dans la vase…

Mais si cette histoire était une histoire vraie, et si les coupables c’étaient nous tous…

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Peut-être une telle catastrophe s’est déjà produite ? Peut-être devrais-je finalement écrire un article sur un cas similaire qui se serait déjà déroulé en Auvergne ?
Mais où cela a-t-il bien pu arriver ?

Bah, c’est impossible chez nous où tout est fait pour éviter ce genre d’évènement dramatique. Ici, nous aimons la nature et nos gamins, jamais nous ne laisserions un simple d’esprit faire peser une telle menace sur nos enfants et nos rivières…

Et pourtant si…

Ça vient d’arriver à la Bourboule, des mètres-cubes de vase ont dévalé la Dordogne ne laissant pas beaucoup de chances à la famille goujon citée plus haut, ni à nos enfants qui hériteront de ce carnage…
Et si rien n’est fait, si le problème de ces nombreux seuils, obsolètes et meurtriers, persiste, cette mésaventure se répètera, encore et encore…

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Alors samedi, je serai à la Bourboule, pour manifester mon mécontentement, ma colère contre les laxistes cupides qui n’agissent que pour leur seul intérêt mais également pour me donner bonne conscience de n’avoir rien fait jusque là… et ma peur de voir se reproduire sur la Sioule ce type de mésaventure, puisque c’est là que l’homme veut construire son prochain barrage et lâcher la bête de nouveau.

 

Updated: mars 13, 2015 — 12:05

4 Comments

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  1. …trouver des mots, c’est un exercice bien difficile après avoir lu ceux-ci…
    Magnifique peut être ? c’est bien banal mais je n’ai pas ton talent ! 😉

  2. Dommage qu’il ne souhaite pas être connu car il devrait l’être, mais vu ce qu’il a écrit, je comprends qu’il veuille rester anonyme.C’est un tout bon et ça me plaît.
    De plus les photos noir et blanc, super.
    Dans les mecs bons il y a les connus et les inconnus, mais tous sont bons et c’est valable dans tous les domaines.
    C’est super et avec beaucoup de classe
    @+

  3. non je te l’affirme je ne suis pas l’auteur de ce texte et je regrette que l’auteur ne se soit pas fait connaitre ….

  4. Superbe…bravo à l’auteur…c’est fait sur « les tripes » …çà se sent !

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